Portrait : Christophe Clouzeau

Le , par Anne Le Gal - Portrait

Temps de lecture estimé : 5 minutes.

Tombé tout petit dans la marmite du numérique

Christophe a découvert l’informatique à 10 ans, avec les premiers ordinateurs personnels : Commodore, Amstrad 464, Macintosh. Formé au graphisme et au multimédia à l’école Estienne et aux Gobelins, il plonge dans le monde du web en 1996. Une camarade de promo lui fait alors découvrir les prémices de l’Internet grand public en envoyant un mail à son petit ami aux États-Unis, qui lui répond en quelques instants. C’est une révélation.

En 1998, il monte une start-up avec quatre copains : l’ambition est de créer le portail mondial des vidéos sur Internet, bien avant YouTube. Ils développent une plateforme où chaînes de télé et producteurs de contenu y saisissent leurs vidéos, redistribuées en marque blanche chez France Télécom, Noos, Club Internet et confrères. La bulle Internet finit par éclater, emportant le projet dans son sillage. Mais Christophe reste dans le web. 

Après des contrats en indépendant, il monte NEOMA-Interactive, une agence web fondée en 2005 avec un ami en situation de handicap. C’est avec lui qu’il découvre l’accessibilité numérique. Après la disparition brutale de son associé la veille de la signature des papiers officiels, Christophe poursuit seul l’aventure pendant treize ans, au sein d’un groupe de communication.

Tout vendre, se libérer de la propriété pour vivre des expériences

Après ces années à la tête de son agence, Christophe ressent le besoin de faire une pause. De tout mettre à distance. Puis, un jour, il vend tout.

« Les biens personnels, la société, tout. On a pris quatre sacs à dos et on est partis faire le tour du monde avec ma femme et mes deux enfants. »

Une parenthèse d’un an pour respirer, observer, vivre la liberté des expériences, s’ouvrir l’esprit et transmettre l’adaptation à ses enfants. Sur les plages de Bali, il ramasse avec eux des déchets venus d’Europe. L’image reste gravée. L’impact des êtres humains et l’urgence environnementale ne sont pas des concepts abstraits. Tout est là, visible, palpable.

Ce voyage renforce des convictions déjà anciennes. Car dès les années 2000, Christophe travaille déjà avec des clients sensibles aux engagements environnementaux : la Fondation Nicolas Hulot, le ministère de l’Écologie, l’ADEME.

« Ils nous disaient : c’est bien d’avoir des convictions, mais il faut en parler et les imposer à vos fournisseurs. »

À une époque où l’on pensait sauver la planète en n’imprimant pas ses e-mails, lui commence à questionner l’impact du numérique lui-même. Il crée un blog gratuit, Web Développement Durable, pour sensibiliser aux impacts environnementaux du numérique. Ce travail de vulgarisation lui ouvre des portes : il visite des data centers, rencontre des acteurs du secteur. Peu à peu, il devient lui-même une voix reconnue de ce que l’on n’appelait pas encore le numérique responsable.

Il anime sa première conférence sur le sujet à Paris Web en 2011. Devant un public de professionnels, il expose un discours simple :

« Le numérique a un impact, et il faut l’assumer. »

Pendant l’intervention, personne ne pose de question. Mais à la pause déjeuner, tout le monde vient le voir.

« Ils me disaient : on ne savait pas, qu’est-ce qu’on peut faire ? Le blog devient alors collaboratif avec des personnes bénévoles qui recherchent des informations tout en donnant la parole aux premiers acteurs de la sobriété numérique. »

Christophe contribue aussi au Guide des 115 Bonnes pratiques et aux premières formations du collectif Green-IT.

L’écoconception numérique chez Temesis et Ctrl-a

À 46 ans, après son tour du monde en famille, Christophe pose ses valises dans les Vosges. Il ne sait pas encore s’il souhaite retravailler derrière un écran. Jusqu’à ce qu’Aurélien Levy et Mathieu Delemme, respectivement directeur général et président de Temesis, le contactent.

« Ils m’expliquent leur vision : un numérique pour tous, accessible, responsable, juste, éthique, dès la conception. Et là, tout s’aligne. Le terme Green-UX devient une évidence pour approcher la démarche de réduction des impacts du numérique. »

Christophe peut faire résonner ce qu’il sait faire avec ce en quoi il croit. Fini le côté bicéphale : d’un côté aider les clients à vendre plus, de l’autre porter un discours sur l’impact environnemental. Désormais, tout converge. Il peut penser aux utilisateurs et à la planète en même temps.

Il contribue alors au Guide de référence de conception responsable de services numériques (GR491) développé par l’institut du numérique responsable (INR), puis participe en mai 2021 à la rédaction du Référentiel général de l’écoconception des services numériques (RGESN), porté d’abord par la DINUM, puis par l’ARCEP. Aujourd’hui, il co-anime le Consortium RGESN, qui rassemble les principaux acteurs du domaine pour faire évoluer le référentiel.

« Les critères existent, c’est alors unique au monde, mais ils doivent vivre, mûrir, s’enrichir des retours du terrain. »

Ce qui le motive chaque matin ?

L’utilité.

« Je me lève en sachant que ce que je fais est utile, que ça sert à quelque chose. »

Et l’esprit collectif.

« Chez Temesis, nous défendons un discours expert, mais jamais seul. Je travaille avec des gens brillants, passionnés, qui me soutiennent et c’est une vraie chance. »

Il regrette le ralentissement de l’intérêt pour l’écoconception avec l’arrivée massive de l’intelligence artificielle, mais y voit aussi une opportunité :

« Les entreprises veulent aller à fond sur l’IA pour faire gonfler leur cadence, leur production, leur chiffre d’affaires. Dans le même temps, elles se fixent également une trajectoire de réduction d’impact carbone. C’est le moment de mobiliser toute l’ingéniosité et la créativité des ingénieurs pour parvenir à aligner les 2 trajectoires contradictoires. »

Christophe plaide aussi pour une meilleure diffusion des standards d’écoconception numérique à l’international, et pour une plus grande sensibilisation du grand public à ces enjeux face aux ressources d’un monde fini.

À ceux qui se demandent par où commencer, il répond par un hashtag devenu sa signature : #YaPluKa.

« Les guides, les outils, les bonnes pratiques, les lois existent. Tout est là. Maintenant, y’a plus qu’à… »