Modèles théoriques du handicap

Le , par Biljana Michel - Accessibilité

Au cours de mes récentes formations, j’ai pu constater que beaucoup d’entre elles s’appuyaient sur les modèles théoriques du handicap. Cette notion, très répandue dans les publications anglo-saxonnes, n’est que très rarement abordée en France. C’est pourquoi j’ai souhaité en faire une rapide présentation ici, car cela me semble très pertinent pour comprendre les enjeux de l’accessibilité.

Voici quelques questions que j’aimerais vous poser :

  • Qu’entendons-nous par le terme handicap ?
  • Quelles images nous viennent en tête lorsqu’on parle de handicap ?
  • Réfléchissons-nous réellement aux conditions handicapantes dans l’environnement, ou en lien avec notre culture ou encore les systèmes politiques  ?
  • Que ressentez-vous quand vous voyez une personne confrontée à une situation de handicap ?
  • Faut-il dire handicapé, personne avec un handicap, personne avec une déficience ou personne en situation de handicap ?

Nos idées reçues ont un impact profond sur la vie des gens confrontés à une situation handicapante. Ces préconceptions orientent les politiques gouvernementales et altèrent l’accès à l’emploi ou même simplement l’insertion sociale de nombreuses personnes.

Définition de Modèles théoriques du handicap

On peut définir la notion de modèles théoriques du handicap comme des prismes à travers lesquels les gens perçoivent et réagissent au handicap.

Ces prismes sont sculptés et polis par divers facteurs et influences : inconscient collectif, affiliation culturelle, environnement, famille, télévision, publicités, affiches dans le métro, réseaux sociaux, etc.

Il existe un grand nombre de modèles, mais ceux qui prévalent aujourd’hui sont les :

  • Modèle Moral ;
  • Modèle Médical ;
  • Modèle Social ;
  • Modèle Biopsychosocial ;
  • Modèle d’affiliation culturelle (affirmation identitaire) ;
  • Modèle économique ;
  • Modèle de solutions fonctionnelles ;
  • Modèle de charité ;

Aucun modèle de handicap n’est exhaustif et chacun présente des forces et des limites. En pratique, plusieurs modèles de handicap façonnent simultanément les perceptions et les idées des gens sur les personnes en situation de handicap.

Modèle moral

C’est le modèle le plus ancien, et même si l’on veut croire qu’il est obsolète, des traces sont encore bien présentes dans la langue, la culture et les croyances d’aujourd’hui.

Le modèle moral voit le handicap comme un défaut, quelque chose de mauvais. Par conséquent, les personnes avec une déficience ont dû faire quelque chose de “mal” qui a contribué à leur état.

Les idées principales du modèle moral

Le handicap est causé par une faute morale, ou un péché, commis par les individus eux-mêmes ou par les membres de leur famille. Cela peut être la volonté d’une puissance supérieure (par exemple : dieu, magie noire, etc).

Parce qu’elles sont considérées comme le résultat d’une mauvaise conduite morale, les déficiences font honte à l’individu et à sa famille. Ils en supportent donc les conséquences et la responsabilité comme une punition.

Le modèle moral aujourd’hui

Les reliquats de ce modèle se voient aisément dans la langue, la culture populaire et les croyances.

Par exemple, cette attitude est particulièrement évidente lorsque des personnes sont considérées comme ayant joué un rôle direct dans leur déficience. L’exemple récent le plus évident est celui des personnes atteintes du SIDA, de diabète de type 2, d’obésité ou de dépendance.

De même, c’est ce modèle qui est à l’œuvre lorsque l’on entend des expressions comme “C’est la volonté de Dieu” ou “C’est une malédiction familiale” quand un enfant naît avec une maladie incurable ou qu’une personne devient paralysée à la suite d’un accident de voiture.

Un autre point de vue courant vient du modèle moral : “le mythe du handicap comme mysticisme”. Cette croyance suggère que lorsque les individus perdent l’un de leurs sens, d’autres sont intensifiés. De même, certaines personnes croient qu’en surmontant l’adversité d’une déficience, les individus développeront des pouvoirs spirituels, émotionnels ou de sagesse particuliers.

Modèle médical

Le modèle médical s’est constitué parallèlement au développement de la médecine moderne qui a conduit au concept de “l’homme normal”. Les caractéristiques et qualités de “cet homme” sont considérées comme “correctes”, “conformes à la norme”. Tout écart est alors considéré comme déviant, anormal et nécessitant une correction pour qu’une personne soit acceptable dans la société.

Depuis ses débuts, le modèle médical a évolué, mais il reste un paradigme majeur pour comprendre comment traiter et travailler avec les personnes en situation de handicap.

Le modèle médical appréhende le handicap comme un produit de la biologie. Le handicap est le résultat d’une maladie congénitale ou chronique, d’une blessure ou de quelque chose d’autre qui modifie la structure biomédicale ou le fonctionnement “normal” du corps humain.

Selon ce modèle, le résultat du handicap est un changement dans les activités de la vie quotidienne de l’individu qui a pour conséquence une incapacité à participer à la société.

Les idées principales du modèle médical

  • Le handicap se situe uniquement dans le corps ;
  • Les problèmes d’une personne avec un handicap sont causés par sa déficience ;
  • Pour que la personne puisse fonctionner pleinement en tant qu’être humain, ce défaut doit être “guéri ou éliminé” ;
  • C’est au professionnel de santé de décider comment guérir le handicap et la personne avec ce handicap doit faire exactement ce qui est prescrit pour “se rétablir” ;
  • Les personnes avec un handicap sont des “victimes” qui doivent apprendre à gérer les circonstances auxquelles elles sont confrontées ; La famille ou les professionnels sont responsables de ceux qui ne peuvent être guéris ;
  • Les personnes avec un handicap ont besoin d’aide et de soutien.

Modèle social

Le modèle social a été développé comme une alternative aux approches médicales contre lesquelles de nombreux militants du handicap se sont opposés.

Le modèle social touche à tous les aspects de la perte ou de la limitation des opportunités de participer à la vie normale de la communauté à égalité avec les autres, en raison d’obstacles physiques et sociaux.

Les idées principales du modèle social

  • Le handicap est une construction sociale ;
  • Les barrières environnementales isolent et excluent les personnes avec un handicap de la pleine participation à la société ;
  • La limitation de l’activité est causée par l’organisation sociale plutôt que par une déficience ;
  • L’expérience des personnes avec un handicap dépend du contexte social et diffère selon les cultures et les époques ;

L’objectif du modèle social est d’éliminer, en s’appuyant sur la conception universelle, les obstacles, notamment ceux environnementaux et comportementaux. Le but est de créer un environnement accessible à tous, avec ou sans handicap, ainsi que de transférer le poids du handicap vers la société.

Modèle Biopsychosocial

Le modèle biopsychosocial a été créé en réponse aux défauts des deux modèles précédents, médical et social, qui s’excluent mutuellement. Le modèle biopsychosocial reconnaît que le handicap est un concept complexe et à multiples facettes. Ce modèle intègre les perspectives du modèle médical et social.

Selon ce modèle, le handicap n’est pas une caractéristique de la personne, mais le résultat de l’interaction entre une personne ayant une déficience et les obstacles environnementaux, physiques et sociaux, auxquels elle est confrontée.

Ce modèle constitue la base de la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF), publiée par l’Organisation mondiale de la santé en 2002.

La CIF conceptualise le niveau de fonctionnement d’une personne comme une interaction dynamique entre :

  • son état de santé ;
  • ses facteurs environnementaux ;
  • ses facteurs personnels.

Modèle d’affiliation culturelle (affirmation identitaire)

Les personnes avec un handicap peuvent développer un sentiment d’identité personnelle en fréquentant d’autres personnes qui partagent des expériences de vie similaires. Ensemble, le groupe développe un sens de la culture basé sur ces expériences partagées.

L’exemple le plus représentatif de ce modèle est celui de la culture sourde.

La culture sourde est l’ensemble des croyances sociales, des comportements, de l’art, des traditions littéraires, de l’histoire, des valeurs et des institutions communes des groupes influencés par la surdité et qui utilisent la langue des signes comme principal moyen de communication.

La langue des signes est le pilier de la culture sourde, bien plus que la surdité en tant que telle. C’est elle qui définit les sourds comme une communauté, presque une nation, et pas seulement comme un ensemble d’individus partageant une même particularité sensorielle.

Modèle économique

Le modèle économique considère le handicap du point de vue de l’impact économique sur les individus, les employeurs, l’État et les programmes de protection sociale.

Ce modèle reconnaît que le handicap a un impact sur la capacité des personnes à travailler, ce qui a diverses implications. Par exemple, une personne avec un handicap peut gagner moins d’argent tout en devant payer plus cher pour l’assistance nécessaire.

Même si ce modèle reconnaît que les déficiences ont un impact sur le travail, il peut également créer un sentiment de stigmatisation.

En d’autres termes, si un groupe de personnes est légalement défini comme ayant besoin d’une assistance telle que des allocations d’invalidité, ils peuvent être vus négativement comme des membres “indigents” de la société.

De plus, de nombreuses personnes ont des handicaps qui ont un impact significatif sur leur capacité à travailler, mais elles ne répondent pas à la définition légale d’un handicap et ne sont donc pas admissibles aux divers programmes d’aide.

Modèle des solutions fonctionnelles

Le modèle des solutions fonctionnelles entend le handicap comme un problème à résoudre.

Le modèle de solutions fonctionnelles adopte une approche pratique du handicap en identifiant les déficiences fonctionnelles, ou limitations, qui résultent du handicap. Le modèle recherche ensuite des solutions pour éradiquer ces limitations grâce à des progrès technologiques ou méthodologiques.

Au cœur de ce modèle se trouvent les professionnels de l’accessibilité ainsi que les entreprises qui créent et vendent des solutions d’accessibilité.

Il faut garder à l’esprit que même si une technologie ou une solution sont innovantes, elles ne constituent parfois pas la réponse la plus utile pour des problèmes plus vastes. Parfois, le prix de cette solution est trop élevé et les personnes avec un handicap ne peuvent pas y accéder. Il arrive également que ce qui est proposé est simplement inutile pour les personnes en situation de handicap, voire leur complique les choses.

Modèle de charité

Le modèle de charité traite les déficiences comme des conditions malheureuses ou tragiques méritant un traitement spécial. Les personnes sans handicap ont pitié pour les personnes en situation handicap et mettent en place des collectes de fonds, des projets, de l’assistance pour leur venir en aide.

De nombreuses personnes en situation de handicap ressentent cette approche comme offensante, même si le résultat final produit quelque chose qui pourrait les aider. L’attitude des organisateurs de la charité et les hypothèses qu’ils établissent peuvent être à l’origine de ce rejet.

Les personnes sans handicap sont dans la position des donateurs, les “chanceux”. Les personnes en situation de handicap sont dans la position des receveurs, les “malheureux”. Cela crée un rapport de force inégal et des relations sociales malsaines entre ces groupes de personnes.

Conclusion

Il ne s’agit pas d’une liste exhaustive des modèles existants. Il est évident que chaque modèle peut faire l’objet avoir son propre article avec une analyse plus approfondie.

Comme je l’évoquais au début de l’article, je n’ai pas voulu dresser une liste des avantages et des défauts de ces modèles. J’ai essayé de rester objective autant que possible. Le fait est que, malgré tout, l’article est probablement influencé par mes propres idées reçues.

Finalement, pourquoi est-il important de connaître et d’étudier les différents modèles ? Il y a un proverbe qui dit que pour combattre un ennemi, il faut d’abord bien le connaître. Les différents modèles, avec leurs approches et leurs considérations différentes, peuvent nous permettre de comprendre l’origine de ces ennemis, les idées reçues, et nous aider à en prévenir les conséquences.

Savoir comment les autres personnes peuvent percevoir le handicap peut nous aider, en tant que professionnels, à déconstruire leurs idées reçues et éventuellement les changer. Nous pouvons utiliser ces éléments pour construire nos supports pour de meilleures formations, intégrer ces considérations dans nos actions de sensibilisation et ne jamais juger ce que des personnes pourront exprimer dans leur rapport au handicap.

Sources :