Le , par Harmonie Peynot - RGPD
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Le 15 octobre dernier, la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) a organisé un évènement appelé « Intimité des disparus, mémoire des vivants : quelle éthique pour les traces numériques ? ». C’est à cette occasion qu’elle a présenté le Cahier Innovation & Prospective n°10 « Nos données après nous » rédigé par son Laboratoire d’Innovation. Je dois avouer que ce sujet m’a particulièrement intéressé et a ravivé plusieurs interrogations que j’ai décidé de partager avec vous.
La protection des données, y compris pour les personnes décédées ?
Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) qui encadre la protection des données personnelles en Europe ne s’applique pas aux données des personnes décédées comme le précise son considérant 27.
Sauf…Oui, il y a toujours une petite exception quelque part. Sauf si l’information sur une personne décédée peut donner une information sur une personne vivante. Par exemple, une maladie héréditaire du parent qui toucherait obligatoirement ses enfants.
Chaque État doit définir ses propres règles concernant les données de personnes décédées. En France, suite à la Loi pour une République numérique de 2016, la Loi Informatique et Libertés est venue préciser à son article 85 :
« Toute personne peut définir des directives relatives à la conservation, à l’effacement et à la communication de ses données à caractère personnel après son décès. »
Concrètement, comment définir ses directives ?
La loi Informatique et Libertés prévoit un registre unique d’enregistrement des directives. Cependant, à ce jour, ce registre n’existe pas encore du fait de l’absence des décrets d’application nécessaires. Mais il est tout de même possible de formaliser et faire savoir ses directives.
Vous pouvez ainsi définir des directives générales auprès d’un tiers de confiance, par exemple, auprès de votre notaire. Tout comme un testament qui définit le devenir de vos biens matériels après votre décès, que doivent devenir vos données et traces numériques ?
Certains services en ligne vous permettent également de définir des directives spécifiques. Par exemple, que doit devenir votre compte Facebook après votre décès ?
Malheureusement, cet aspect de la gestion des données est encore très peu uniformisé au sein des plateformes et les parcours peuvent rapidement tourner au casse-tête. Comment ajouter de la complexité dans un moment délicat en résumé.
C’est donc le moment de vous faire part de ma nouvelle expression préférée ! Cités à la page 28 du cahier I&P n°10, les chercheurs Michael Massimi et Andrea Charise mettaient en avant dès 2009 le besoin de conception de services thanatosensitifs.
C’est-à-dire des services qui intègrent le fait que leurs utilisateurs ne sont pas éternels et qui facilitent tant l’enregistrement de directives que la gestion post-mortem par les ayants-droit. Ça paraitrait logique, non ? Pourtant c’est loin d’être le cas à ce jour…
Sur Facebook ou Instagram, vous pouvez choisir un contact légataire qui pourra gérer le profil devenu compte mémoratif ou décider de la suppression du compte dès que Facebook aura été informé de votre décès (Paramètres et confidentialité > Paramètres > Espace Comptes > Informations personnelles > Propriété et contrôle du compte > Commémoration ou Supprimer après le décès).
Si ce n’est pas le cas, vos ayants-droit pourront effectuer ce choix.
Sur certains services tels que X (ex-Twitter) ou LinkedIn, les ayants-droit peuvent demander la suppression du compte.
D’autres services, comme Google, permettent de définir des mesures en cas d’inactivité du compte pendant une certaine durée.
Dans le cas où aucune directive n’aurait été formalisée par la personne de son vivant, ce sont les ayants-droit qui sont chargés de décider du devenir des données et de faire les démarches nécessaires. De nouvelles offres voient ainsi le jour au sein des services funéraires. En complément de l’accompagnement à la réalisation des démarches administratives «classiques», certaines entreprises funéraires intègrent désormais la gestion du devenir des comptes numériques de la personne décédée.
Ces nouveaux besoins pourraient amener à la création de nouveaux métiers tel que des Délégués à l’après-vie numérique (Cahier I&P page 36).
Quelle est la place du numérique dans le deuil ?
Le numérique impacte chaque aspect de notre vie, mais également de notre mort.
Les rites funéraires évoluent avec notre société, les évènements (par exemple lors de la crise sanitaire de 2020) et évidemment, avec les nouvelles technologies. Certaines personnes trouveront du réconfort et une aide dans l’utilisation des outils numériques tandis que d’autres pourraient voir leur processus de deuil mis en péril avec des impacts psychologiques importants. Comme souvent, l’important est d’être sensibilisé et de veiller à mettre en place les mesures pour se protéger soi-même et ses proches.
Comment vivre le fait d’être sollicité par une notification Facebook vous invitant à célébrer l’anniversaire d’une personne disparue parce que son compte n’a pas été supprimé ou transformé en compte commémoratif ?
Comment appréhender la notion de deuil dans le monde virtuel à l’aide des cimetières virtuels et des pages commémoratives ?
Comment réagir si un proche a fait appel à un service permettant de transmettre des fichiers numériques après son décès et potentiellement tout au long de votre propre vie ?
Comment réagir face à des projets de téléchargement de la mémoire humaine sur des supports numériques (là on peut penser à l’épisode «San Junipero», épisode 4 de la saison 3 de Black Mirror ou à la série Upload ) ?
Comment réagir face à une IA qui prendrait les traits (sonore, visuel, manière de s’exprimer,…) d’un proche disparu ?
L’un des aspects qui m’interpelle fortement est le développement des deadbot . Ce sont des systèmes d’intelligence artificielle, entraînés directement par la personne avant son décès ou plus souvent entraînée post-mortem à partir des traces numériques de la personne, ayant pour mission de maintenir un lien avec la personne décédée en mimant la poursuite des échanges avec elle. À l’époque de sa sortie, je me souviens que j’avais été assez secouée par l’épisode « Bientôt de retour », premier épisode de la saison 2 de Black Mirror . Aujourd’hui, cela devient réalité et nous devons commencer à nous poser la question de savoir si nous souhaitons que nos traces numériques puissent servir à ce genre de finalités. Et si nous avons confiance en ces systèmes pour rester réellement fidèles à ce que la personne était de son vivant…
Au-delà des finalités des différents outils proposés, c’est également le risque de leur disparition ou de la perte d’accès à ceux-ci du jour au lendemain qui peut entraîner des impacts forts pour les personnes utilisatrices.
L’impact sur l’environnement des matériaux et consommations énergétiques nécessaires doit également être pris en compte à un moment où nos ressources sont sous tension.
Conclusion
En conclusion d’un point de vue global : le sujet est complexe, sensible et soulève de nombreux questionnements éthiques, économiques et environnementaux. Mais il est aussi passionnant et nécessaire pour nous permettre, en tant que société, de protéger chaque individu tout au long de sa vie et au-delà.
Et d’un point de vue plus individuel : comme pour beaucoup d’aspects liés à la continuité de la vie après votre mort, il est bon de prendre le temps d’aborder le sujet avec ses proches et de faire savoir ses volontés tant que cela est possible.
Quoi de mieux qu’un repas d’Halloween pour aborder le sujet ?