Le , par Sébastien Rufer - Écoconception
Temps de lecture estimé : 8 minutes.
Le RGESN, ou Référentiel Général de l’Écoconception des Services Numériques, a été mis à jour en 2024 par l’Arcep et l’Arcom en réponse à la loi relative à la réduction de l’empreinte environnementale du numérique (loi « REEN »). Ce référentiel d’État vise à réduire l’empreinte environnementale des services numériques à travers 78 critères pour mettre en œuvre et évaluer la démarche d’écoconception d’un service numérique.
Au cœur du dispositif se trouve la déclaration d’écoconception — ce document apparemment anodin mais terriblement stratégique. En théorie, c’est l’occasion de communiquer, voire de promouvoir, avec transparence et sincérité vos engagements pour réduire vos impacts. En pratique ? C’est souvent une déclaration creuse, vague, et parfois même complètement à côté de la démarche. Et sans déclaration solide, inutile d’espérer dépasser les 30 % de conformité RGESN.
Vous êtes en charge de la rédaction de cette déclaration ? Parfait ! Voici un guide clé en main pour saboter votre déclaration avec panache.
1. Confier la rédaction de la déclaration au meilleur greenwasher de la boîte
Il est très tentant de produire une déclaration qui claque et qui sent bon la promesse verte : c’est bon pour l’image ! Le greenwasher saura sans aucun doute choisir les bonnes formules avec des slogans inspirants et des mots essentiels comme « engagement », « durable », « responsable »… Le tout nappé d’un storytelling verdoyant.
L’avantage, c’est que le message est toujours positif. Aucun doute, aucun conflit, aucune faiblesse : tout est aligné, tout est maîtrisé. C’est propre, c’est lisse, ça respire la maturité.
2. Réaliser la déclaration une fois le projet terminé
Le timing idéal pour rédiger une déclaration d’écoconception ? Attendre que tout soit terminé. Que les choix soient loin derrière vous, que les documents soient archivés (ou perdus, pour peu qu’ils aient existé), et surtout, que les personnes qui pourraient vous aider soient déjà passées à autre chose — ou à une autre entreprise.
C’est bien plus pratique : vous pourrez ainsi reconstruire l’histoire du projet grâce à votre excellente mémoire, de fragments de spécifications, et de vieilles slides de kick-off.
C’est aussi beaucoup plus confortable d’attendre la fin. Le service est en ligne, la pression est retombée, tout le monde est soulagé.
3. Considérer la déclaration comme une simple checklist
Vous avez déjà fait tout le boulot : analyser les critères, adapter votre service, arbitrer, tester, corriger. Franchement, après autant d’efforts, on ne va pas vous demander en plus de rédiger un texte ? Heureusement, il y a une solution bien plus simple : traiter la déclaration comme une checklist. Vous cochez les cases, vous indiquez « Fait » quand c’est fait, et voilà. Efficace, rapide, indolore.
C’est d’ailleurs une excellente stratégie : on réduit la déclaration à un tableau de bord technique, on évite les justifications, les nuances, et les longues phrases. Pas de prise de tête, pas d’interprétation. C’est blanc ou noir, « fait » ou « pas fait ».
4. Recourir à des généralités pour justifier la conformité des critères
Inutile de perdre du temps à entrer dans les détails. Restez vague et conceptuel. Parlez de démarche, de sensibilisation, d’engagement — sans jamais préciser quoi, comment, ni pour qui. L’avantage ? C’est rapide, ça sonne bien, et surtout c’est impossible à contredire.
Avec des généralités, vous n’avez pas à vous soucier de preuves, de dates, de contextes, de périmètres ou de résultats. Vous ne prenez aucun risque. Mieux encore : vous laissez au lecteur le soin d’imaginer ce qu’il veut.
5. Oublier de documenter les arbitrages
Pour réaliser votre service numérique, vous avez exploré plusieurs options, lancé des débats passionnés en réunion, pesé le pour et le contre, puis tranché. Vous avez fait des compromis, mis certains critères de côté — faute de temps, de budget ou d’équipe disponible. Bref, vous avez arbitré, souvent en toute conscience.
En ne documentant pas ces choix, vous gagnez sur tous les tableaux : pas de justification à construire, pas de discussion à rouvrir, pas d’explication à formuler. C’est fluide, c’est rapide, et surtout : ça évite de mettre en lumière des arbitrages pas toujours flatteurs. Tant que personne ne sait ce que vous avez écarté, on peut toujours croire que tout a été fait dans la meilleure des configurations possibles.
6. Semez le doute sur la conformité
Passons à une technique que j’affectionne particulièrement et redoutablement efficace. Commencez par justifier la conformité du critère et apporter des éléments de preuve. Puis, introduisez une petite nuance, une réserve, une phrase qui vient subtilement effriter tout ce que vous venez d’annoncer.
Quel est l’intérêt ? C’est simple : brouiller les pistes. Le lecteur ne sait plus sur quel pied danser. Avez-vous respecté le critère ou pas ? En semant ces dissonances, vous instillez le doute sans avoir à mentir frontalement. Brillant.
7. Ne jamais mettre à jour la déclaration
Vous avez publié votre déclaration ? Parfait. Surtout, n’y touchez plus ! Considérez-la comme le témoignage glorieux d’une mise en production parfaite. Depuis, le service a évolué ? Des critères ont été revus ? Des fonctionnalités ajoutées ? Des arbitrages modifiés ? Peu importe. Ce n’est plus votre problème.
L’avantage, c’est que vous évitez tout un tas de complications : pas besoin de suivre les évolutions, de rouvrir des dossiers, de reconsulter l’équipe. Et puis, une déclaration à jour pourrait faire apparaître de nouvelles incohérences ou des régressions.
8. Valider la conformité de sa démarche d’écoconception en s’auto-évaluant sur des critères maison
Pourquoi s’embarrasser des critères du RGESN, avec leurs intitulés précis, leurs mises en œuvre souvent contraignantes, et leurs exigences de preuves ? Faites comme chez vous : créez vos propres critères. Plus simples, plus flexibles, plus flatteurs. Et surtout, plus faciles à valider.
Ce petit détournement présente plusieurs avantages :
- Vous évitez d’avoir à justifier précisément vos choix ;
- Vous échappez à toute comparaison externe ;
- Vous conservez un maximum de contrôle sur la narration.
En somme, vous transformez la déclaration en discours d’auto-satisfaction, tout en prétendant vous inscrire dans une démarche sérieuse. Brillant, non ?
9. Bonus stylé : utiliser une IA Générative avec un prompt optimisé
Après tout, vous avez réussi à minimiser les impacts de votre service numérique, vous pouvez bien utiliser un peu de cette économie pour faciliter la rédaction de votre déclaration RGESN.
Voici un exemple de prompt à copier / coller dans le chat d’une IA Générative :
Prends le rôle d'un spécialiste de l'écoconception des services numériques. Tu connais parfaitement le RGESN de 2024. Tu dois maintenant évaluer les critères RGESN sur le site Web …à compléter… et rédiger la déclaration d'écoconception en respectant les exigences définies par le RGESN. Soit précit, factuel et concis.
Note importante : si vous êtes sensibles aux impacts environnementaux, nous vous décourageons évidemment d’utiliser ce prompt. Il n’a d’ailleurs jamais été testé.
Conclusion : rater sa déclaration, c’est rater l’intention
Ce n’est pas vraiment une surprise : saboter une déclaration d’écoconception, c’est à la portée de n’importe qui. Mais si vous êtes arrivé jusqu’ici, c’est que vous n’avez pas vraiment envie de la rater. Vous avez même certainement envie qu’elle reflète sincèrement le travail accompli, les choix effectués, les limites rencontrées. Bref, qu’elle soit utile.
Alors, pour éviter les pièges et rédiger une déclaration fidèle à l’esprit du RGESN, voici quelques principes simples (et sans ironie cette fois-ci) :
- Impliquer les bonnes personnes : travaillez avec ceux qui ont réellement participé au projet.
- Notez vos décisions au fur et à mesure, même celles qui n’ont pas fonctionné : ne comptez pas sur votre mémoire.
- Expliquez précisément vos choix avec des faits concrets : pas avec de belles intentions ou des textes copiés d’ailleurs.
- Évitez de vous contredire : si vous dites quelque chose dans votre déclaration, vérifiez que c’est bien ce que vous avez fait en réalité.
- Mettez à jour votre déclaration quand votre service évolue : une déclaration figée dans le temps perd rapidement sa valeur.
- Reconnaissez vos limites : dire ce qui n’a pas marché ou ce que vous n’avez pas pu faire n’est pas un échec, c’est une preuve de maturité.
- Pensez à qui va lire votre déclaration : un auditeur, un client, un partenaire ou un collègue. Écrivez pour qu’ils comprennent facilement.
- Soyez sincère : vous n’avez pas besoin d’être parfait, juste honnête sur ce que vous avez fait.
Une bonne déclaration d’écoconception n’a pas besoin d’être parfaite. Elle a besoin d’être crédible, cohérente, et construite sur des faits.
Envie d’être accompagné dans votre démarche d’écoconception ? Un audit, un atelier de travail ou une relecture de votre déclaration peuvent vous faire gagner un temps précieux — et éviter bien des faux pas. Nous proposons également des formations qui peuvent aider votre équipe à monter en compétence et gagner en autonomie sur votre démarche d’écoconception.